19 décembre 2017

Entretien avec le Père Emmanuel FORTINEAU

La fidélité sacerdotale fondée sur la fidélité du Christ

A Noël, nous faisons mémoire de la Nativité d’un Dieu qui s’est fait homme : Jésus Christ. Autrement dit, un « anniversaire » de la naissance de Jésus sur terre. Quelle joie !

Jésus, le Fils Unique du Père, a été obéissant jusqu’au bout : signe d’un grand amour. Quelle fidélité ! A la suite du Christ, d’autres ont donné une réponse d’amour à l’appel d’amour du Père. Le père Emmanuel FORTINEAU nous en donne l’exemple.

  • Le séminariste : Bonjour père Emmanuel ! je suis séminariste nantais. Je viens vers vous, au nom du séminaire, à l’occasion de vos 60 ans de sacerdoce que vous fêterez le 21 décembre, et tout le    séminaire vous souhaite un bon anniversaire et rends grâce à Dieu pour votre service et votre fidélité au Christ dans le sacerdoce. Alors pour commencer, pourriez-vous vous présenter… ?
  • Le père Emmanuel : Bien, avant-hier, j’ai eu 87 ans. Je célèbre donc deux anniversaires : l’anniversaire de ma venue au monde et celui de mon engagement dans l’Église. Je suis né au sud de Nantes, à Machecoul. Une famille de quatre enfants : deux sœurs et un frère. J’avais un oncle prêtre (le seul frère de ma mère), et enfant j’étais très marqué par sa présence et il racontait souvent ce qu’il vivait. J’étais aussi impressionné par un prêtre qui avait fait la guerre et qui illustrait ses catéchèses de son expérience personnel. Ces deux prêtres m’ont impressionné et je me suis dit : j’ai envie d’être comme eux. Dans mon enfance, comme parmi d’autres mouvements j’ai participé à la JOC où le voir, juger, agir était vraiment important pour moi et c’était un pôle de référence.

Je suis devenu prêtre, à Nantes, avec hésitations mais j’ai quand même fait ce choix. J’étais envoyé d’abord à Pont Saint-Martin, ensuite à la Chabossière puis à Saint-Louis-de-Montfort, route de Vannes. Après 12 ans dans le diocèse de Nantes, je suis appelé à poursuivre ma mission à Madagascar, ce pays lointain où je savais cependant qu’un oncle du côté paternel y était missionnaire dans le diocèse de Diégo dont il était évêque. J’y ai vécu 12 ans riches de contacts et de découvertes. J’y ai mieux compris le mot « incarnation ». S’ « incarner », c’est prendre corps peu à peu par la connaissance de la langue, de l’histoire, des coutumes, des modes de vie, de la foi traditionnelle de ce peuple dont Dieu est source de tout.

De retour de ma mission à Madagascar, j’ai continué ma mission à Saint-Nazaire, Châteaubriant, Toutes Joies à Nantes puis à Saint-Joseph-Saint-Georges de la Beaujoire.

  • Le séminariste : Merci pour ce beau témoignage. Vous avez apporté votre réponse à Dieu sans pour autant être sûr mais en vous écoutant, je peux souligner trois mots : confiance, obéissance et abandon surtout.

Alors, souvenons-nous ces mots de notre pape émérite Benoit XVI. En voyage apostolique au Portugal, il souligne dans son discours prononcé lors de la célébration des vêpres avec les prêtres, les religieux, les séminaristes et les diacres, en l’Église de

la Trinité à Fatima le 12 Mai 2010 : « la principale préoccupation de tout chrétien, particulièrement de la personne consacrée et du ministre de l’autel, doit être la fidélité » En s’appuyant sur votre propre expérience, que pouvez-vous nous dire de la fidélité sacerdotale ? Quel est son socle ?

  • Le père Emmanuel : Pour moi, elle est liée au Christ. C’est la base. Une parole dans le bréviaire précise ceci : « le prêtre, pasteur, doit se conformer à la parole avant de l’annoncer ». Je retiens une autre chose en faisant le bilan de ces 60 ans, la fidélité à la prière ; à la messe car c’est un rendez-vous très important où le Christ nous appelle. Il y a des paroles puissantes qui m’habitent et que j’ai à vivre. Par exemple, comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’alliance, puissions-nous être unis à la divinité du Christ lui qui vient partager notre humanité. Donc le socle c’est le Christ et son Église. Les deux sont indissociables. L’Église est son corps et je suis lié à ce corps de manière particulière par le sacerdoce que j’ai reçu. Un lien spécifique est tissé, et qui par l’homélie, je le sens et je le vis dans l’aujourd’hui de Dieu.
  • Le séminariste : Pourtant, cette fidélité est mise à l’épreuve. De plus, nous sommes dans un contexte de vigilance accrue contre les abus (sexuels par exemple ou autres…). Comment cette fidélité doit se vivre pour un prêtre dans la relation aux autres ?

 

  • Le père Emmanuel : Alors, il y a une image dans le livre d’Isaïe : le bon pasteur. Nous sommes des pasteurs respectueux de la brebis et nous vivons pour elle-même. Je suis là pour l’aider à vivre. Et j’aime bien cette parle du pape : « quand quelqu’un vient vous voir, commencer par vous déchausser avant d’entrer dans le mystère de l’autre ». Le respect de l’autre. Tout homme est image sacrée de Dieu.C’est vrai qu’on peut être tenté, on est des hommes ! Mais cette image du bon pasteur me revenait souvent et m’aider à me reprendre. Je ne suis pas appelé à être un mercenaire ou un prédateur mais un pasteur.
  • Le séminariste : Mais au fond, est-ce que cette fidélité n’embrasse pas la chasteté en sens large ?
  • Le père Emmanuel : Bien sûr ! C’est le combat de toute une vie. C’est important aussi d’avoir un accompagnateur. Et j’ai besoin d’être fidèle pour ne pas démolir la confiance qu’ont les fidèles en moi, en particulier les jeunes. Cette confiance, j’en suis responsable. Elle doit s’édifier également dans ma façon d’être.
  • Le séminariste : Ces expériences nous marquent et nous servent de repères.
  • Le père Emmanuel : Effectivement ! Il y a aussi des gens qui viennent nous voir, et qui se posent beaucoup de questions, notamment celle de la vocation. Et ces situations- là, nous poussent aussi à être fidèle envers le Christ dans notre ministère pour enfin permettre à ces gens d’avancer dans leur chemin de baptisés.
  • Le séminariste : Tout à l’heure, vous me disiez qu’il faut essayer de se conformer à l’Évangile avant de l’annoncer. Ça c’est un point fondamental qui relève de cette intimité avec Dieu. Donc au final on a besoin d’authentifier cette relation avec le Christ et par ricochet dans notre relation avec les autres : avoir une vie cohérente entre vie intérieure et vie extérieure.
  • Le père Emmanuel : C’est le mot juste ! Il faut être cohérent. Si on ne l’est pas on n’est pas crédible. Et les gens sont touchés par cette cohérence au bout 60 ans de sacerdoce et ils nous disent : « tu fais ce que tu dis ». Autant dire que j’ai essayé et ce n’est pas parfait. (rire) Et puis il y a aussi la qualité d’écoute. Car écouter c’est recevoir, recevoir l’autre pour pouvoir donner quelque chose. C’est important pour un prêtre. D’ailleurs, un prêtre doit avoir de grandes oreilles pour écouter, de grands yeux pour voir et une petite bouche pour parler.

 

  • Le séminariste : Au final, il y a quand même une difficulté. Car quand on (les prêtres) est dans notre presbytère, on y est bien tranquille, on prie Dieu, on travaille etc… On y est bien car il n’y a pas d’affrontements. Quand on est en dehors de notre presbytère là il y a le combat. En plus on n’est pas aidé par la société d’autant plus que la chasteté n’est pas mise en valeur dans la vie de cette société. Comment rester solide dans le Christ, rester fidèle au don qu’on a fait au Christ pour le salut des âmes ? Peut-on dire, au final, que cette fidélité exige le courage et la confiance ?

 

  • Le père Emmanuel : Oui tout à fait !
  • Le séminariste : Quels conseils donnerez-vous à de futurs prêtres ?
  • Le père Emmanuel : D’avoir un accompagnateur, mais il faut avoir l’humilité de tout dire. Et puis avoir une équipe de prêtres pour avoir des révisions de vie. Un lien où l’on est vérité entre nous et où l’on peut se confier à ses frères et leur demander aide et soutien.
  • Le séminariste : Qu’à apporter l’année sacerdotale en 2009 pour les prêtres ?
  • Le père Emmanuel : Pour moi ça n’a rien apporté sinon un rappel. La fidélité se vit au quotidien. Il y a une décision au départ, mais faut la redire, la vivre. Comme le dit le psaume : « Seigneur, entre tes mains, je m’en remets ». Et essayer de ne pas démolir ce que j’ai construit avec les fidèles ; viendrai-je contredire ça ? Je me sens lié aux autres profondément, et ça c’est une communion. La détruire est une incohérence.
  • Le séminariste : Par notre cohérence de vie, la fidélité transparait.
  • Le père Emmanuel : Faut savoir aussi se mettre en retrait pour repartir autrement. Mais alors je me dis quelle chance j’ai eu de dire OUI.
  • Le séminariste : C’est beau d’oser dire oui à Dieu. Au nom du séminaire, tout en rendant grâce à Dieu, je vous remercie.

« Chacun de nous est appelé à être, avec Marie et comme Marie, un signe humble et simple de l’Église qui continuellement s’offre comme une épouse dans les mains de son Seigneur ». Benoit XVI, année sacerdotale 2009.