« Le séminaire est fermé ! ». Ces mots résonnent encore comme un écho dans ma mémoire. Pour moi l’effondrement, qui n’était jusque-là qu’une vaine prophétie des collapsologues, est enfin une réalité. Rien ne se passe plus comme prévu et pire tout ne sera plus comme avant. Les choses sont allées très vite et est arrivé ce lundi où tout a basculé, rien n’était sous contrôle et le réel parfois chaotique (ou confusionnel tohubohuïque) reprenait le dessus sous notre nez. La succession rapide des événements a jeté en moi « le gel et le froid ». Ce qui m’a le plus agacé, c’est l’insouciance des gens qui disaient : « Le covid-19 n’est pas plus dangereux qu’une grippe ? » Je n’avais jamais vu en 32 ans une grippe paralyser tout l’appareil de production de la Chine zone industrielle du monde entier.
J’ai été heureux d’être en contact avec notre évêque Mgr Alain Harel qui était aussi très inquiet de la situation. Il voulait connaître mes désidératas. Comme j’étais en zone de « guerre », j’ai préféré rester car je pouvais être moi-même une arme biologique très menaçante pour mon peuple qui est à Rodrigues. Voir les étudiants de notre république qui ont été rapatriés au pays m’a troublé énormément. Le 17 mars, j’ai appelé mon papa et avec une voie cassée, il m’a demande « Es-tu à Rodrigues ? » Ces paroles m’ont explosé le cœur. J’ai du lui dire que non et le rassurer que j’allais bien et que tout se passe pour le mieux. J’avoue que je suis très stressé pour mes vieux parents qui sont maintenant très fragiles. Un journal local a encore publié une bonne nouvelle récemment : Rodrigues est encore au vert, il n’y a encore personne de contaminer. Cela me rassure. Ces jours-ci, j’ai échangé avec une amie qui a préféré partir, je suis heureux pour elle car la pauvre aurait été seule ici.
Je dois aussi avouer que de voir la fermeture de l’aéroport d’Orly m’a fait un pincement au cœur. Cela m’a par contre fait plaisir d’entendre le PDG dire qu’il faut mettre les humains avant les intérêts financiers. Toutefois, Je suis très peiné de voir que beaucoup de personnes sont coincées dans d’autres pays et ne peuvent pas rentrer chez eux, parfois dans des conditions difficiles. Quand on est témoin de cela et qu’on ne comprend pas qu’en temps de crise, c’est naturel que les citoyens veulent être chez eux, nous devons nous interroger sur notre humanité.
Je vis ce temps comme une station supplémentaire de mon chemin de croix. Être enfermé chez soi dans une prison, c’est déjà ardu. Vivre cette crise sanitaire et savoir que même si je désirais rentrer, je ne le pourrais pas, m’affecte énormément. Aujourd’hui, je ne veux pas faire semblant que tout va bien et que l’on peut fonctionner comme d’habitude. Et l’ancienne vie que je menais jusque-là, je ne veux plus d’elle. Je sais au fond de moi que plus rien ne sera comme avant. J’attends impatiemment la réouverture d’Orly et/ou tout simplement d’avoir des ailes afin de voler vers d’autres cieux.
Seigneur que cette station de plus que tu nous donne de vivre soit la quinzième et que cette crise nous donne de passer de l’esclavage à la libération. En mémoire de ceux qui y ont laissé leurs vies et en solidarité avec ceux qui sont en première ligne, donne-nous de vivre avec toi les passages nécessaires.
Un séminariste de Rodrigues