« Seigneur, avec toi nous irons au désert »
À la demande de l’équipe de communication, je vous écris quelques lignes pour vous raconter la manière dont je vis la succession des événements.
Tout est allé si vite. J’avais peu suivi l’actualité concernant une épidémie dans un pays lointain tel que la Chine. Soudain, le virus s’est répandu à travers le globe : La Corée, l’Afrique du Sud, l’Italie, l’Égypte reçoit de plein fouet la première vague de contamination. L’Organisation Mondiale de la Santé hésite à parler de pandémie. Puis vient le tour de la France. Tandis que la situation de l’Italie ne cesse d’empirer, la vie de notre communauté change brusquement. Le vendredi 13 mars, des mesures barrières sont mises en place. L’organisation du réfectoire, de la chapelle et des classes est revue. Des consignes d’hygiène sont transmises et la vie fraternelle est adaptée. Le premier cycle reste au séminaire pour la fin de la semaine. L’ambiance est pesante. L’absence du deuxième cycle se fait davantage sentir à cause du risque de contamination. Plusieurs font le choix de rester.
L’un d’entre eux est même contraint de faire demi-tour suite à une possible contamination de son curé. Dimanche soir, chacun raconte comment il a pu vivre ce temps particulier en paroisse. Les restrictions gouvernementales ne cessaient de tomber. Les rassemblements passaient de 100 à 20 personnes pour être finalement interdits. Certains s’inquiètent de la possibilité de poursuivre la vie au séminaire dans de telles conditions.
Le lundi 16 mars, les cours ont lieu « normalement ». La vie communautaire semble possible. En début d’après-midi les premiers cours sont annulés et le foot interdit suite à une déclaration du Premier ministre. À 15h20, le recteur annonce un Temps d’Information Communautaire exceptionnel à 16h dans la chapelle (pour permettre une distance minimum entre les différents membres de la communauté). La rumeur d’une possible fermeture du séminaire commence à courir dans les couloirs. Certains commencent à rassembler leurs affaires et à regarder comment ils pourraient rentre chez eux. À 16h, une partie de la communauté est présente. Pendant que l’on part chercher les frères les moins connectés, ceux qui sont présents prient le « Je vous Salue Marie ».
Lorsque tout le monde est rassemblé, une certaine tension est palpable. Puis, le recteur se lève, et l’annonce tombe : les évêques de la province ont décidé de fermer le séminaire pour éviter que toute la communauté ne soit contaminée. Personnellement, je tombe des nues. J’espérais passer le confinement sur place, bénéficiant du parc, de la bibliothèque, mais surtout de la présence et du soutien du reste de la communauté.
Il faut que nous trouvions le moyen de rejoindre notre lieu de confinement avant minuit dans le cas où le président annoncerait une mise en place stricte du confinement lors de son allocution le soir même. C’est la grande dispersion (ou le début de la diaspora pour reprendre les termes du père Danno). Les plans se succèdent dans ma tête : Avec qui partir ? Où ? Comment ? Après de multiples coups de fils et allée-venues dans la cage d’escalier, je résouds de partir avec Henryk dans le sud pour rejoindre nos familles respectives. Le diocèse de Nantes a accepté de nous prêter une voiture.
J’avoue que ce n’est pas une idée qui m’enthousiasme dans la mesure où cela fait cinq ans que je ne conduis qu’une ou deux fois pour faire les courses près de chez moi. Comme la route est longue, nous partons dès 18h. Nous saluons ceux que nous croisons, c’est-à-dire quasiment personne. Nous ne savons pas quand nous reviendrons. Le plus vite possible j’espère ! La route se passe étonnamment bien et rapidement. C’est l’occasion d’échanger, de mieux se connaître. Les parents d’Henryk travaillant, il passe la nuit chez moi (j’ai réussi à négocier ce court séjour contre trois boîtes de jeux de société, il ne se rend pas compte à quel point je suis gagnant au change). Le lendemain à 10h, il est parti. Le confinement commence.
Aujourd’hui toute la famille est rassemblée à la maison, ma sœur étant rentrée en catastrophe du Québec il y a dix jours. Nous sommes cinq plus la chatte. Nous sommes tous biens occupés la journée entre mon père qui médecin, ma mère institutrice et les plus jeunes étudiants. Il est très difficile d’allier le rythme du séminaire avec celui de la famille (notamment pour les repas). Souvent, il faut accepter de se coucher tard et donc de se lever plus tard sans pour autant tomber dans une mauvaise routine. Le soleil n’aidant pas, on a vite fait de se sentir en vacances.
Heureusement, le séminaire veille et nous sommes nourris intellectuellement et spirituellement (de plus, j’ai pu amener une véritable bibliothèque dans la voiture). J’ai la chance de pouvoir assister à la messe du curé de Bazas le dimanche et de pouvoir ramener la communion à la maison. J’essaye de garder le lien avec les frères par téléphone ou chat sur Zoom. J’ai aussi un lien assez fort avec la paroisse de Montaigu dans la mesure où je prie les grandes heures en direct une à deux fois par semaine. J’essaye aussi d’appeler une ou deux personnes par jour. Ils sont toujours surpris et heureux de pouvoirs échanger dans ce contexte si particulier.
Finalement, la principale difficulté reste la fidélité. Pour reprendre les termes d’un sage séminariste « c’est un combat à reprendre chaque jour ». Je vis ce temps au désert comme un véritable temps d’épreuve, au sens beau et fort du terme. C’est l’occasion pour moi de ruminer longuement cet adage : « le séminaire, ce n’est pas un lieu, c’est un temps. » J’aime toujours pendant le temps du carême m’arrêter sur cette magnifique antienne du psaume invitatoire : « Les yeux fixés sur Jésus Christ, entrons dans le combat de Dieu ».
Je manque de place pour vous dire comment vous êtes présent dans mon cœur. Je vous souhaite le meilleur pour ce temps de grâce et une belle montée vers Pâque. Unis dans la prière.
Quentin LECLAIR