Au seuil de la semaine sainte, un monde subitement reconduit dans l’angoisse de sa fragilité s’apprête à célébrer la victoire de la vie sur la mort. Une situation qui interpelle chacun, car tous nous sommes dans la même barque.
Depuis quelques jours plus de la moitié de l’humanité est confinée, étonnante victime d’une pandémie mondiale. Le Covid-19, le doux nom du redoutable virus qui s’épand partout, vient de réussir un exploit inattendu : mettre le monde quasiment en pause. La machine paraissait pourtant fonctionner tant bien que mal et un petit grain de sable vient enrayer l’ensemble jusqu’à l’arrêt. Un arrêt certainement ; tous les signaux économiques le manifestent, les gouvernements sonnent le branle-bas de combat, les médias brodent toujours plus sur le sujet et toutes nos vies quotidiennes sont complètement bousculés. Notre monde se heurte à un obstacle coriace qui demande jusqu’à un effort de guerre.
Mais, semble-t-il, croire que cet achoppement est bien réel c’est aussi croire que ce monde avançait… Un monde en marche oui, mais vers quoi ? Quel était le cap pour ce bateau pachydermique qui croit pouvoir braver tous les vents contraires pour se rendre maître de ses mers ? Oh, certains avaient peut-être une petite idée d’une direction convenable tel que le bonheur humain, mais bien malin celui qui en connaissait assurément le chemin. Les plus pessimistes croiront que nous n’avancions vers rien, sans direction autre que l’assouvissement de nos désirs toujours plus nombreux et dévorants.
Nombre d’entre nous s’évertuaient également hier à décrypter les mouvements de ce monde pour mieux y percevoir l’esquisse nébuleuse d’un avenir, lendemain radieux pour certains, effondrement global pour d’autres. Aujourd’hui l’arrêt est aussi brutal qu’imprévu, c’est donc le voile d’incertitude enveloppant naturellement notre futur qui s’épaissit et nous aveugle. Le poids des grandes souffrances et la crainte de la mort resurgissent violemment alors que nous ne connaissons même pas l’issue immédiate de cette crise. Comment ne pas penser à nos aînés dans les ehpads, atteints par le coronavirus, et peut-être ainsi condamnés à une mort isolée ? Tout cela inquiète à juste titre.
Certes nous n’échappons pas aux remous de l’histoire, mais quand celle-ci semble marquer l’arrêt d’une machine incontrôlable et que l’incertitude nous gagne, tous nous pouvons nous interroger au-delà des problèmes présents, de manière globale : l’épuisante accélération d’hier se poursuivra-t-elle demain ? La route empruntée hier était-elle la bonne ? Notre heure semble alors, pour beaucoup, être inespérée. Oui cet arrêt est l’occasion de jeter enfin un coup d’œil sur la carte et pourquoi pas infléchir le cap ! Beaucoup d’idéaux pourraient ici se bousculer pour dessiner des lendemains attirants, une orientation donne cependant un sens que tous nous sommes appelés à découvrir et approfondir.
Une nouvelle fois le message de la Bonne Nouvelle peut venir réveiller les cœurs et indiquer une piste avec une audace désarmante et une assurance surnaturelle car c’est l’unique chemin, déjà ouvert. Nous les disciples de Jésus-Christ dans l’immédiat nous sommes tournés vers la grande libération pascale, nous avons un cap qui nous anime intégralement. « Cette espérance, nous la tenons comme une ancre sûre et solide pour l’âme ; elle entre au-delà du rideau, dans le Sanctuaire où Jésus est entré pour nous en précurseur » (He 6, 19-20) dit l’Écriture. Voilà ce que l’arrêt soudain de notre monde peut nous inviter à contempler : le terme de cette espérance qui entre au-delà du rideau de nos incertitudes et nous invite à la vraie vie. Celle-ci se manifeste magnifiquement déjà dans le surcroît de fraternité que montrent beaucoup d’entre nous dans ces temps difficiles. Sur cette voie de l’espérance en Jésus-Christ, notre monde peut marcher si nous nous donnons la peine de toujours lever et faire lever les yeux vers cette croix d’amour d’où coule la vie.
( Cyriaque Feildel, séminariste de 2ème année)